Appel à CommunicationsDans leur reflet ou réfraction du monde, les séries télévisées marquent les perceptions de celles et ceux qui les regardent, qu’elles représentent des événements ultra-contemporains, au plus près de l’actualité, ou historiques, ouvrant des mondes sociaux fermés ou évoquant des scenarii catastrophes (sur fond de crise politique et environnementale) dans des mondes dystopiques ou uchroniques. Contribuant à façonner des imaginaires collectifs, ces fictions peuvent en retour influer sur le réel, en particulier lorsque les spectateurs-citoyens s’emparent de mouvements socio-politiques et culturels pour agir dans le monde (défilés de spectatrices en costumes tirés de la série The Handmaid’s Tale (Hulu, 2017- ) lors des Women’s Marches sur fond de mouvement #MeToo aux États-Unis). C’est cette même agentivité de l’objet « série » que l’on entend interroger dans une perspective épistémologique en faisant un pas de côté disciplinaire. En effet, de nombreux.ses chercheur.e.s en lettres, langues, arts, sciences humaines et sociales ont vu dans les séries télévisées un nouveau terrain d’exploration sur lequel ils/elles ont apporté le regard méthodologique et les outils conceptuels relevant de leurs champs disciplinaires respectifs. Ce colloque entend interroger les chercheur.e.s sur un possible « effet de retour » de l’objet à la discipline, c’est-à-dire se demander si ce nouveau terrain d’étude permet de repenser quelque peu la discipline elle-même. L’objet « séries » a-t-il catalysé de nouveaux concepts, ouvert de nouveaux horizons, permis des analyses qui auraient été plus difficiles à envisager, voire inenvisageables sans lui ? C’est en définitive l’influence réciproque entre objet et disciplines qui nous intéressera dans ce colloque afin de mesurer l’impact de cet objet culturel, qui connaît un engouement croissant, sur les approches scientifiques des chercheur.e.s en Humanités. L’objet « séries » reliant texte, langue, regards, gestes, images, caméra, contexte sur le temps long des saisons, n’invite-t-il pas également, dans sa multimodalité même, à redessiner les lignes disciplinaires ? En amenant parfois les chercheur.e.s à lire en dehors de leur champ, ne conduit-il pas à une redéfinition (inter)disciplinaire ? Si chaque discipline tend à construire ses objets, ses terminologies et ses instruments d’analyse, l’objet constitué des « séries » invite-t-il réciproquement à repenser la souveraineté de son domaine disciplinaire, à adopter un « autre regard », pour reprendre l’expression de Jean-Paul Resweber (2011 : 179), « sans pour autant renoncer à la logique spécifique de sa discipline, le chercheur en vient à adopter un autre regard qui subvertit le sien propre et peut l’amener à se positionner différemment au sein même de sa discipline » ? C’est ce nouveau regard sur sa propre discipline, cette forme d’ « impensé » disciplinaire, sur lesquels nous souhaitons interroger les chercheur.e.s dans les divers champs qui se sont emparés de l’objet, que l’on pense à la philosophie (Laugier 2019), à l’histoire (Faure et Taïeb 2017), à la science politique (Faure et Taïeb 2015, 2020), à la linguistique (Bednarek 2018, Sorlin 2016), à la narratologie (Favard et Machinal 2019, Hatchuel 2015, Mittell 2015), aux études culturelles et à la sociologie (Bacqué et al. 2014, Susca 2015), aux études sur le genre (Lefèvre-Berthelot 2020) et aux queer studies (Chambers 2009), voire à la musicologie (Carayol et Rossi 2015). Parce que les séries sont si souvent des adaptations, ou réadaptations (Wells-Lassagne 2017), remakes ou reboots d’œuvres littéraires (Bronfen 2020), de films, ou de séries plus anciennes, elles n’augmentent pas simplement le corpus des adaptations mais le renouvellent, interrogeant le cloisonnement entre études audiovisuelles, cinématographiques, littéraires, et études des médias. On se demandera ainsi non seulement ce que font les séries aux études cinématographiques (Hudelet et Crémieux 2021), mais comment elles ont participé à l’élaboration de nouveaux concepts : si elles n’étaient pas à l’origine du concept de « remédiatisation » (remediation) élaboré par Bolter et Grusin en 1998, Grusin a bien pensé la « pré-médiatisation » (premediation, Grusin 2010) en partie autour d’elles. N’obligent-elles pas à repenser aussi, du fait de leur diffusion contemporaine, l’idée même de série « télévisée » et ne révolutionnent-elles pas les television studies (Leverette, Ott et Buckley 2008, Lodz 2014), puisque nous les recevons désormais également via des plateformes de streaming, et sur des écrans de toutes tailles (du home cinéma au téléphone portable), ce qui oblige à repenser toute l’écologie des médias, dans une convergence culture (Jenkins 2006) impactée par leur prolifération? Peut-on encore imaginer les études transmédia (Cornillon 2018) sans elles ? Si les séries interrogent à la fois les études sécuritaires (Takacs 2012) comme les surveillance studies (Lefait 2013) dans leur mise en abyme de dispositifs scopiques notamment, ne sont-elles pas aussi devenues incontournables dans les études de la société de l’écran, du sujet digital, et du sujet posthumain (Machinal et Michlin 2018, Machinal 2020) ? Peut-on, de fait, continuer de penser les humanités numériques sans les séries ? Enfin les séries, trop souvent encore reléguées au statut d’objets populaires « non sérieux », donnent pourtant une épaisseur sociale, politique et institutionnelle à ce qui est souvent inaccessible aux citoyen.ne.s (les coulisses du pouvoir, le fonctionnement des agences de renseignements, des univers sociaux et professionnels auxquels ils/elles ne sont jamais confronté.e.s, des existences « incarnées » qui ne sont pas les leurs). A ce titre elles semblent fonctionner comme passeurs de connaissances à l’endroit de la société civile. Conscient du pont qu’elles incarnent entre connaissance scientifique et connaissance commune, l’enseignant.e-chercheur.se puise parfois dans ces mises en scène des réalités sociales complexes pour en nourrir ses enseignements (les rouages et arrangements cachés derrière le fonctionnement des institutions politiques américaines peuvent-ils être exposés avec autant de force dans un cours magistral que dans un épisode de The West Wing ?). L’on pourra également dès lors s’interroger sur ce qu’elles apportent à la transmission des savoirs. Nous accueillerons des propositions d’études critiques focalisées sur ce que les séries « font » aux disciplines, à la constitution des savoirs et la transmission des connaissances. Merci d’adresser vos propositions d’environ 300 mots accompagnées de 5 lignes de bio-biblio pour le 30 septembre 2021 à tvseries-discip@sciencesconf.org Retour des avis aux auteurs : 30 octobre 2021 Langue de la conférence : anglais et français Une publication est prévue chez un éditeur anglophone à partir d’une sélection des communications. |
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